Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité ?

Le livre part du constat que « nous vivons dans un monde de chiffres », déplaçant un des problèmes de la philosophie au 20ème siècle, celui du rapport entre « les mots et les choses ». Il analyse les chiffres produits entre l’été 2007 et le début de la crise financière de 2008 sous la forme d’un journal et décrypte les conventions de calcul utilisées pour produire les statistiques descriptives, les prévisions et les données comptables. Face à l’importance jouée par les chiffres et aux multiples conventions qui leur servent de fondement, Valérie Charolles soutient que la forme du monde pensée par Kant et encore largement présente dans ce qu’elle appelle « le kantisme de tous les jours » (séparation entre l’homme et la nature, entre la science et l’éthique) ne peut plus servir de base pour nous orienter. Elle montre en quoi un travail de déconstruction et de reconstruction des cadres de référence sur lesquels reposent les chiffres pourrait fournir une assise pour orienter un monde qui, à défaut, nous échappe.

Description

Extraits du livre

« Nous vivons dans un monde de chiffres. Le simple fait qu’il existe une donnée chiffrée permettant de décrire quelque chose suffit à conférer un statut à ce phénomène. (…) La qualité s’exprime désormais dans la quantité. »

Début de l’introduction, p.11

« Lundi 16 juillet 2007 : Les dernières livraisons des grandes données économiques sont particulièrement satisfaisantes : croissance robuste, tensions inflationnistes maîtrisées, chômage au plus bas. / Nous avons tendance à considérer que ces chiffres sont objectifs. Autrement dit, nous pensons instinctivement qu’ils nous disent une vérité qui n’est pas liée à un point de vue particulier, et qui permet donc de dépasser la subjectivité. / Cette idée ne correspond pourtant que très imparfaitement à la réalité.

[…]

« Vendredi 19 septembre 2008 : Lehman Brothers a fait faillite lundi […] Maintenant, tout le monde en est d’accord, nous vivons la plus grave crise financière depuis 1929. Et nous ne savons pas jusqu’où cela ira. »

« Quelle vérité nous disent les chiffres ? », p.17 et derniers mots du livre, p.294

« Les chiffres sont le produit de conventions techniques de mesure qui ressortissent à des choix ; ils utilisent un appareillage conceptuel qui peut se révéler inapproprié à l’étude des phénomènes humains ; ils se réfèrent à un découpage de l’espace-temps qui mérite discussion. Pour toutes ces raisons, à la fois techniques, théoriques et philosophiques, la manière dont les données économiques sont établies peut être mise en cause. / De telles interrogations ont toujours été légitimes. »

[…]

« Kant a consommé la rupture entre science et philosophie. […] Tout le problème est que cet usage n’est plus pertinent : dans un monde où la causalité s’est complexifiée, approfondie, la simplicité de l’espace-temps, l’absolu des catégories et l’absence d’interaction entre idées et phénomènes ne peuvent plus nous servir de fondement. «

« Faut-il reprendre tous nos chiffres à zéro ? », p. 230-231 et 263

 

Mots clés :

Du problème « des mots et des choses » à celui « des faits et des chiffres » en philosophie ; importance des conventions de calcul en statistique descriptive (chômage, inflation, croissance) ; limites du calcul des probabilités classique pour les prévisions et sur les marchés financiers (dépendance des observations, queues de distribution épaisses, statistiques non gaussiennes) ; les comptes des entreprises comme origine des statistiques économiques et principes retenus dans les normes comptables ; impossibilité de traiter ces questions dans un cadre issu de Kant ou de la théorie des choix rationnels ; proposition d’articulation entre vérité, norme et pratique dans le champ économique et place à donner au décidable entre le déterminisme et l’indécidable ; vérité inscrite dans un référentiel normatif dont la pertinence par rapport au réel ouvre un espace de discussion.

Recensions, presse, médias

 Un essai éclairant 

Robert Migliorini, La Croix, 28 novembre 2008

 Une lecture à recommander à tout honnête homme 

François Lenglet, BFM Radio, 20 janvier 2009

 C’est à repenser le statut d’une science déterministe que s’emploie finalement Valérie Charolles. Elle le fait en multipliant les pistes et les horizons au fil de ses chroniques avec un talent indiscutable quand elle aborde les généalogies historiques (tant sur le plan de l’histoire de la philosophie que de l’histoire des sciences). Elle bouscule Kant, débat avec Amartya Sen à qui elle reproche un excès de mathématisation, elle évoque le cognitivisme et les thèses de l’école de Santiago (Varela)…

Olivier Mongin, revue Esprit, juin 2009
 

Recension : article d’Olivier Mongin dans la revue Esprit : « Mesurer ? Prévoir ? Compter ? À quelle hiérarchie des valeurs les chiffres nous renvoient-ils ? À propos d’un livre de Valérie Charolles », p.76-84, juin 2009 (lien)